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Samedi 28 mai 2016 00H20, mon épouse et moi, avons sauvé la vie d’un homme !

« Sauver la vie » est un métier pour les professionnels qui dépendent de l’autorité d’Hippocrate mais pas pour nous –
« Sauver la vie » est un acte banal pour certains, pas pour nous –

Le chemin de terre qui mène chez nous est rural et plein de nid de poule – Il est peu accueillant pour des visiteurs et ne donne pas envie de poursuivre son chemin – Le bas du terrain est réservé à un vaste enclos où nos deux ânes, Chiquita et Pancho et une jument, Amourette, vivent librement. La nuit sans lune n’a pas permis à « Romulus » (le prénom est changé) de s’offrir une « conversation muette » avec des animaux de compagnie.
La camionnette blanche est immobilisée dans un endroit insolite – Naturellement, nous nous arrêtons dernière elle – Nous sortons en même temps de notre voiture – Mon épouse, Alexandra, voit et comprend plus vite que moi, la gravité tragique de la situation. Le moteur du petit camion tourne – Je discerne dans le halo des phares un volume bleuté qui enveloppe la camionnette – L’odeur acide et irritante trahissent la présence de gaz d’échappement en suspension – Un tuyau d’arrosage posé au sol disparait sous la voiture – Il est impossible de deviner sa provenance et sa destination – Je ne réussis pas à décoder instantanément la situation malgré ma sobriété « indiscutable » car je ne bois pas d’alcool. Mon épouse, voit vite, comprend vite et réagit vite – Lorsqu’Alexandra hurle « c’est un suicide », j’arrache le tuyau d’arrosage et le déconnecte du pot d’échappement –
Le cerveau reptilien prend en charge la suite de l’événement : je me jette sur la portière du conducteur – le tuyau est introduit dans la cabine, coincée sur le haut de la vitre du conducteur – les vapeurs toxiques accumulés dans la cabine sont libérées par l’appel d’air – les gaz me traversent – je distingue un corps massif allongé sur la banquette avant – J’agis et je ne parle pas – La tension est maximum – La réflexion est impossible – A ce moment précis, l’anticipation des comportements humains est inenvisageable – Les hypothèses comportementales sont innombrables – Cependant, la méfiance est le sentiment dominant à cet instant – Je m’attends à une réaction contradictoire considérée comme étant la justification du choix suicidaire qui trouve sa force dans la formule : « ne me sauvez pas car j’ai décidé de mourir » – L’animalité ontologique de notre espèce justifie une vision antispéciste du monde –
L’homme est plus surpris que je ne le suis – un son bestial est propulsé avec les gaz d’échappement – le gars est vivant, la cinquantaine établie – Il me dit que je lui ai fait peur !! A ce moment, je ne sais pas qui a le plus peur de l’autre !! Le réel ne se construit pas comme une fiction cinématographique scénarisée. Les représentations héroïques célébrées dans les innombrables productions médiatiques représentent un mensonge – C’est une description naïve et enfantine qui fait mentir le réel – Celui ou celle qui pense le contraire est un enfant ou un niais.

L’homme qui en avait assez de la vie est vivant – Je veux connaitre son prénom – Ce sera la seule la seule question que je lui poserai – Je lui propose de se désaltérer – Je commence à lui parler et je ne m’arrête plus afin de fixer son attention – Je comprends intuitivement qu’il est grotesque de questionner un homme fragilisé – Donc, je parle – Je parle de la nature, de la vérité innombrable de ses habitants, de la nuit, des étoiles, de la paternité, du temps qui nous file entre les doigts, de la misère humaine, de notre indifférence à son égard, de notre inhumanité, de la difficulté de s’adapter dans un monde économique qui n’accepte pas les perdants, de mes difficultés de transformer des connaissances en valeur négociable, du système impitoyable qui broie la dignité humaine, de la vulgarité des élites –

Les pompiers arrivent suivis d’une voiture de la gendarmerie – Des hommes « fonctionnels » prennent la situation en main – – Le réel et sa dimension protocolaire rompent une bulle sensible qui me liait à « Romulus » – Des hommes rompus aux situations traumatiques investissent le réel « orwelien » –
Le tapis roulant des fonctionnalités administratives se déploie.
Les questions commençant par « pourquoi, qui, comment » s’enchainent – Les hommes sont distants, fonctionnels, fatigués, habitués, désabusés, expérimentés et finalement mécanisés.

Notre civilisation construite sur des valeurs matérialistes fabriquent 200.000 tentatives suicidaires par an et obtient un résultat effrayant de 25 suicidés par jour, dans notre pays – L’accident de voiture tue moins de monde en France.

Ils sont venus cherchés un homme brisé – C’était sa deuxième tentative de suicide – Ils repartiront avec un survivant – mais pour combien de temps ?

Pierre Lacarrère (2H10)

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